Ces français emprisonnés à l’étranger

par Hegemon - 12 février 2025 - Catégorie : International, Juridique, Politique, Société

En 2023, plus de 2000 français étaient incarcérés à l’étranger, pour les trois quarts pour des motifs de droit commun ou d’activités liées au trafic de stupéfiants. Mais près de 500 d’entre eux sont incarcérés pour motifs “autres” - lisez, pour des raisons politiques et diplomatiques. Les résultats du Quai d’Orsay, central dans la gestion de ces affaires sensibles, est en dents-de-scie.

 

Une monnaie d’échange entre pays

Le nombre de détenus étrangers, ainsi que leurs origines, est un indicateur étrange mais fiable des relations diplomatiques entre pays. Sans surprise, le nombre de détenus occidentaux et français est monté en flèche depuis l’invasion de l’Ukraine par les forces armées russes. Les agents de renseignement qui, de temps de paix, étaient tolérés par leurs pays d’accueil, sont davantage surveillés et arrêtés en cas de conflit. Dès lors, chaque pays dont les espions auront été arrêtés aura la tentation de détenir des citoyens étrangers en contrepartie, en vue d’un futur échange; comme cela a eu lieu en août 2024, lorsque Moscou a libéré de nombreux prisonniers politiques dans le cadre d’un accord. A l’occasion de leur libération, le quai d’Orsay a publié un communiqué: “La France s’associe à l’émotion des familles et des gouvernements alliés suite à la libération de plusieurs prisonniers politiques détenus en Russie, dont Vladimir Kara-Mourza, Ilya Iachine, Oleg Orlov, Alexandra Skotchilenko, Evan Gershkovich, Paul Whelan, Alsu Kurmasheva, Rico Krieger, Patrick Schöbel et Kevin Lik. Elle exprime son soulagement, notamment au regard des conditions de détention auxquelles ils étaient soumis et des risques qu’elles faisaient peser sur leur santé.” Le rôle spécifique de Paris dans cet accord n’est pas connu officiellement. Aujourd’hui, ce sont près de 1300 étrangers détenus par Moscou, dans l’attente que leur échange soit négocié et qu’ils puissent retrouver leurs familles. Et le cas n’est en rien spécifique à la Russie.

 

Des règles de droit international pas toujours respectées

La France se soumet, en principe, à diverses règles de droit international dans la gestion des prisonniers étrangers. Notamment, l’Hexagone refuse d’appliquer le principe d’extradition si le condamné encourt la peine de mort pour le délit commis, dans son pays d’origine. Ainsi faisant, la France promeut l’abolition de la peine de mort au-delà de ses frontières. Mais cette noble volonté n’est pas sans limite. En effet, Paris n’applique pas cette même prudence humanitaire quand il s’agit de traitements inhumains ou dégradants.  En 2024, les Nations Unies se penchaient sur le cas de Paul Maillot, un franco-malgache incarcéré en 2021 pour “coup d’état”, après un procès entaché d’irrégularités et détenu dans des conditions proches de la torture. Les sphères diplomatiques soupçonnent que l’ancien officier français de gendarmerie a été incarcéré par le président malgache pour faire taire ses critiques du pouvoir et de la situation désastreuse du pays. Sa fille, Elise Maillot, femme d’affaires parisienne, témoignait récemment au micro de RFI, appelant Paris à l’action: “Aujourd'hui, on a un Français qui est détenu dans ces conditions qui sont inhumaines, assimilées, je le rappelle, à la torture. Les termes de l'ONU sont clairs et donc, on ne peut pas rester les bras croisés. Et moi, en tant que fille, je ne peux pas rester les bras croisés. Je continuerai le combat aussi longtemps qu'il faudra le mener, mais mon père, lui, au vu de ses conditions de détention actuelles, ne pourra pas tenir encore 16 ans et demi dans ces conditions. C'est impossible. Les autorités françaises disent régulièrement que la France n'abandonne jamais ses citoyens. Je demande très simplement qu'elle nous en fasse la démonstration dans le cas de mon père”. En effet, d’autres citoyens français ont été rapatriés en France et Paris, qui verse annuellement 200 millions d’euros au titre de l’aide au développement, a largement l’influence nécessaire pour demander son transfèrement.

 

Le rôle central des Nations Unies

L’ONU a pleinement conscience que le traitement réservé aux prisonniers, comme le respect du droit fondamental, est inégal dans le monde. Pour autant, l’organisation internationale ne peut se permettre l’ingérence dans tous les pays, au risque d’être perçu comme un organe de domination occidental et de porter atteinte au tissu relationnel global. Ainsi, les Nations Unies cherchent à s’appuyer sur les quelques pays au monde qui remplissent simultanément deux critères : une adhésion rigoureuse aux principes qui encadrent les libertés et la détention d’une part, et des liens forts à la communauté internationale d’autre part. La France répond parfois présent à l’appel du devoir, comme elle le fit pour Farida Adelkhah, anthropologue incarcérée par Téhéran avec son mari. En février 2023, Paris obtient sa libération: “La France se réjouit de la libération ce soir de Mme Fariba Adelkhah, chercheuse au centre de recherches internationales (CERI) de Sciences Po, qui était injustement détenue en Iran à la prison d’Evin. Il est essentiel que Mme Fariba Adelkhah puisse recouvrer l’ensemble de ses libertés, y compris celle de retourner en France si elle le souhaite. La France rappelle sa demande de libération immédiate et sans conditions de tous les ressortissants français détenus arbitrairement en Iran”, laissant ainsi entendre que le cas de Farida Adelkhah n’est pas isolé. Paul Maillot, comme des centaines d’autres détenus politiques, attend toujours. En 2023, l’ONU se penchait sur le sort des centaines de prisonniers politiques au Myanmar qui sont toujours incarcérés malgré la libération de 7000 de leurs camarades à l’occasion d’une amnistie. Fin 2023, c’étaient aux prisonniers du Sahara occidental, détenus au Maroc sur fond de conflit territorial, de faire l’objet de l’attention des Nations Unies.

Pour chaque famille de détenu politique, c’est une longue lutte qui, parfois, traîne durant des années, dans l’espoir de voir un jour la justice rétablie et de retrouver leur proche. Les services diplomatiques sont alors confrontés à l’alternative, entre servir les intérêts de la Nation ou ceux de la justice.

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