Entrée dans sa deuxième décennie d’existence, l’économie de plate-forme, dans laquelle clients et travailleurs indépendants peuvent se retrouver d’un simple clic et faire affaire, a déjà considérablement fait bouger les lignes. Dans un rapport approfondi et détaillé, l’institut Montaigne livre ses réflexions quant au passé, au présent, et à l’avenir de l’économie 2.0.
Economie de plate-forme, le nouveau monde du travail
Cette nouvelle manière de travailler, apparue dès le début du siècle, ne se limite pas à l’apparition des plates-formes les plus connues (telles que AirBnb et Uber, par exemple). Elle s’apparente à une nouvelle fluidification de l’économie, en rupture avec le monde monolithique du travail que les économies développées connaissaient jusque lors. Le rapport de l’institut Montaigne explique que: “ le facteur numérique des plateformes est venu bouleverser le travail tel que nous le connaissions. La généralisation d’Internet, du très haut débit et des smartphones a changé la donne. Les plateformes digitales prennent une place centrale en jouant le rôle d’intermédiaire dans l’offre et la demande de biens et de services.” Cette nouvelle époque émane d’un souffle nouveau, d’un désir de liberté pour de nombreux travailleurs et une soif d’entreprendre et de travailler, jusque-là contenue par des canaux professionnels qui se limitaient au salariat ou au lourd processus de création d’entreprise. La création du statut d’auto-entrepreneur (aujourd’hui micro-entrepreneur) en 2009 par Hervé Novelli fut une concomitance bienvenue à l’apparition de cette nouvelle économie. Aujourd’hui, plus d’un million de personnes en France sont inscrites comme auto-entrepreneurs, avec des activités aussi variées que les profils : étudiant en quête de financement, retraité qui complète ses pensions, travailleur à temps plein, chômeur qui souhaite se remettre en selle…
Un succès inattendu
Rares sont ceux qui avaient prévu une telle explosion de l’activité indépendante, ou qui avaient soupçonné que les Français se seraient jetés avec une telle vigueur dans le grand bain de l’entrepreneuriat. Pourtant, le rapport cite que les plates-formes ont trouvé un marché de travailleurs avec du répondant, et n’en est qu’à ses débuts: “Même si les travailleurs des plateformes ne sont que 200 000 en France, soit 0,8 % des actifs occupés, il convient de s’y intéresser rapidement tant les plateformes ont créé une nouvelle façon de trouver et d’exercer un travail et tant elles jouent déjà un rôle central pour certaines catégories de travailleurs.” En effet, avec 100 000 inscrits dès la première année, les effectifs n’ont cessé de croître pour atteindre plus d’un million aujourd’hui. Adrien Brown, administrateur de la fédération nationale des auto entrepreneurs, explique: “L’économie de plateformes a permis aux Français de trouver des solutions souples et flexibles, parfaitement adaptées à leurs besoins, puisque le micro-entrepreneur est parfaitement souverain dans son activité professionnelle. Ce faisant, les plates-formes ont ouvert une manne de croissance et d’activité, ce que l’Etat ne parvenait pas à faire, malgré d’innombrables plans de relance”.
Le focus group des livreurs à vélo
L’institut Montaigne se focalise sur les plateformes de livraison à vélo, qui se sont intégrées au marché de “la logistique du dernier kilomètre”. Elles incluent la livraison de repas, ou de colis dans un rayon urbain, et permettent d’apporter un service plus fluide, au bénéfice des entreprises et des clients finaux. Deliveroo, Ubereats, Frichti, nombreuses sont les plateformes qui ont été passées au crible par le think tank. L’institut détaille donc son panel d’observation: 800 livreurs, principalement masculins, qui regroupent actifs et étudiants, et aux horaires extrêmement variés, en fonction de leurs souhaits et disponibilités. Trois points communs les regroupent néanmoins: “ils sont disponibles à des plages horaires atypiques et irrégulières, ils ont une volonté de gagner de l’argent à très court terme, ils souhaitent s’émanciper du salariat.” Mais cette nouvelle vague ne manque pas de faire débat. l’Institut Montaigne résume ce dernier: “d’un côté, les partisans qui considèrent que les plateformes permettent de pallier l’incapacité chronique des pouvoirs publics à apporter une solution d’emploi aux travailleurs les moins armés ; de l’autre, les opposants pour qui les plateformes sont un moyen de contourner la protection des travailleurs (salaire minimum, droits individuels et collectifs du travail, etc.).”
Encore des dossiers épineux à régler.
Car, en effet, les travailleurs des plateformes sont administrativement dans un monde à part de leurs camarades salariés. Prélevés par l’administration fiscale à des niveaux certes inférieurs aux salariés (un salarié perd environ 50% de son salaire en charges, contre environ 25% pour un auto-entrepreneur), les travailleurs des plateformes sont néanmoins à peu près dépourvus de protection sociale. Leurs cotisations ne leur ouvrent droit à aucune allocation chômage, à des indemnités journalières pour maladie extrêmement maigres et restreintes et à des points de retraite uniquement au-delà d’un certain seuil – qui n’est pas atteint par bon nombre d’auto-entrepreneurs. L’institut appelle à remédier à cette situation: “Nous sommes convaincus que le régime de protection sociale doit être adapté pour permettre au travailleur de sélectionner les services auxquels il souhaite avoir droit (en mettant en place certaines obligations). Dans cette vision futuriste, la protection sociale correspond au travailleur, et non au contrat auquel il est lié.” Le gouvernement a récemment annoncé certaines mesures pour la protection des travailleurs indépendants, mais qui semblent laisser le problème en l’état. Grégoire Leclercq, président de la fédération des auto entrepreneurs, confirme ces craintes, qui forment l’essentiel des combats que mène sa fédération: “Il risque d’y avoir des déçus […] Un an et demi plus tard, le compte n’y est clairement pas. Les indépendants au sens large (et notamment les auto entrepreneurs) vont bien disposer d’un droit au chômage en cas d’échec professionnel mais dans des conditions ultrarestrictives.”
L’institut Montaigne, à travers son rapport, analyse la fine collaboration entre travailleurs indépendants et plateformes et dresse le bilan des bénéfices qui émanent de cette synergie. Il attire l’attention, néanmoins, sur le fait que si les travailleurs trouvent leur compte dans cette nouvelle économie, il faudra inéluctablement traiter la question de leur statut et de leur protection, soit en réduisant leur charges, soit en leur apportant la protection sociale pour laquelle ils paient.