Aux prises avec les affaires qui secouent l’une des plus vieilles institutions du monde, le Vatican a fait le choix d’une stratégie qui enfreint toutes les règles de la communication de crise, et de la gestion de l’image. Derrière cette apparente erreur, l’Eglise confirme qu’elle n’est pas assimilable à d’autres organisation et que sa boussole n’est pas celle du monde.
Avec l’affaire Bissey, en 2001, ce qui n’était qu’un agrégat d’accusation isolées prend la dimension systémique et fait naître la crise dans laquelle l’Eglise catholique est plongée depuis plus de 15 ans, maintenant. Audrey Dumin, de France culture, écrit: “Dès les années 1990, des affaires d’agressions sexuelles sur mineurs surgissent au sein de l’Eglise catholique. Mais il faut attendre les années 2000 pour que ces cas prennent une dimension mondiale.” En effet, les révélations médiatiques se sont enchaînées depuis et les cas isolés se sont consolidés dans un soupçon de “système occulte”, qui viserait à taire le problème pour préserver l’image, mais par là-même, protéger les agresseurs et multiplier les victimes. Un crime qui en entraîne un autre, donc. Par ailleurs, il est essentiel d’être précis dans sa vision et de ne pas entacher l’ensemble du crime de quelques-uns. Penserait-on à soupçonner l’ensemble des éducateurs de tels agissements, parce que l’un d’entre eux s’y est livré? La grande majorité de l’église tient en horreur ses agissements, mais cela ne change rien au fait que l’Eglise est confrontée à ce problème, et qu’il engage sa responsabilité.
La présence d’éléments pédophiles dans l’Eglise et ses périphéries, comme dans toute organisation qui a accès à l’enfance (éducation, tutorat, lieux de vacances, etc.), n’est tristement guère surprenante. Il est logique, hélas, que des personnes qui ressentent une puissante attirance envers les enfants se tournent vers des secteurs qui leur permettra l’accès. Inversement, ceux qui ne sont pas en contact régulier d’enfants risquent bien moins de voir de telles attirances germer dans leurs esprits, rien de bien incompréhensible ici. Ce qui est véritablement surprenant, c’est le choix de l’Eglise (et plus précisément les papes Benoît et François) face à ce drame.
Dès le début des années 2000 se mettent en place des conférences au sommet pour trouver comment mettre fin à ce phénomène, dont on soupçonne par la fréquence qu’il serait presque une maladie incurable de la société toute entière. La décision est prise, face à la gravité double des faits, et de l’exigence morale à laquelle l’Eglise est astreinte, d’assumer les faits et de procéder au traitement – nécessairement violent – qu’il appelle. A compter de cette phase, les faits ne sont plus enfouis, et la politique silencieuse du “transfert discret” est abolie. Or, en termes de gestion d’image et de communication, c’est bien la dernière chose à faire. Le choix des deux derniers papes a été, non pas de “s’acquitter” de ses obligations légales, mais d’aller bien au-delà, jusqu’à la douloureuse introspection. Nicolas Sénèze écrit: “Une Église qui assume, donc, ses fautes et ses péchés. Qui refuse ce que François a désigné comme le « justicialisme », c’est-à-dire une vision trop légaliste qui se contenterait de la seule sanction des abus mais sans une profonde prise de conscience ni un travail avec ceux qui, par le monde, sont mobilisés contre le fléau des abus sur mineurs.”
En effet, l’étude des scandales (communément appelée la “polémique”) fait ressortir la “procédure standard” de communication de crise. Elle passe par de nombreuses phases, notamment de temporisation, mais peut se résumer de la manière suivante: On nie être au courant, on fait semblant de s’en occuper si c’est inévitable et, surtout, on tente de transférer la faute sur quelqu’un d’autre. L’administration précédente, la société, un prestataire, un subordonné, peu importe. Tout est bon à prendre. A titre de comparaison, une excellente gestion du scandale Findus a permis à la marque de survivre au séisme, car l’attention de l’opinion publique fut tournée vers le sous-traitant. Les divers scandales politiques mènent immanquablement à un défilé d’hommes politiques sur les plateaux de télévision, jurant, les yeux écarquillés de candeur, qu’ils ne savaient pas. Disent-ils vrai ou faux? Cela n’a aucune importance: c’est un exercice, une étape nécessaire à la rémission de l’organisation qu’ils représentent.
Non seulement cette voie, pourtant bien maîtrisée, ne fut-elle pas choisie par le Vatican, mais aucune excuse ne fut invoquée: le pape a pris la responsabilité du dossier, se présentant seul comme interlocuteur. La tentation pourtant dut être grande, de reprocher aux souverains précédents d’avoir laissé ces agissements perdurer si longtemps. Elle fut repoussée, en toute connaissance de cause : s’il est moralement recommandable pour un individu de reconnaître ses fautes, c’est un acte kamikaze pour une organisation, et le pape le sait. L’aveu, même du bout des lèvres, mènera immanquablement au déchaînement de l’opinion publique et des media. Afin de permettre la rémission des victimes, et la sienne propre au passage, l’Église a fait le choix d’affronter la tempête, quitte à horrifier tous les experts en communication du monde. Les partisans de la méthode classique auront vite fait d’inscrire ce choix dans une logique de complaisance, mais il n’en est rien. Le pape François a choisi de jeter la lumière sur les faits, comme il était attendu d’un grand nombre. Mais son refus <de la démission du cardinal Barbarin, avant que l’affaire ne se termine, montre qu’il ne souhaite plus obéir ni à la logique du silence et de l’autruche, ni à celle des cris. Déplaire à soi-même, et déplaire aux autres, il aura réussi les deux, en vertu d’un objectif supérieur, celui de la justice qu’il se doit de servir. Plaire à nul autre que Celui qu’il représente sur terre.
Il serait naïf de penser que le tournant stratégique de l’Eglise au début du siècle, s’est fait par ignorance des codes de la communication ou par maladresse politique. De toute évidence, l’Eglise a enfreint les règles de l’art du marketing dans un choix délibéré et assumé. L’heure actuelle, est à la douleur. Douleur des victimes, des auteurs, de l’Eglise, de la population, de tous. Lorsque la poussière retombera, il apparaîtra clairement que le Vatican a enfin refusé d’obéir à la rue, ou à ses intérêts propres, pour mieux suivre la boussole de Dieu.